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«Comprendre les dynamiques entre mémoire à court et long terme»

Portrait

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21/09/2021

Claudia Clopath, qui dirige depuis 2013 son propre laboratoire à l’Imperial College de Londres, est une référence internationale dans le domaine des neurosciences. Diplômée de l’EPFL en Physique, elle recevra lors de la prochaine Magistrale un Alumni Award de l'EPFL en reconnaissance de l’excellence de sa recherche et de sa carrière.

Comment êtes-vous arrivée à l’EPFL et que vous ont apporté vos études ici ?

J’ai toujours été passionnée par les sciences et j’ai eu la chance d’avoir d’excellents professeurs au gymnase qui ont nourri cette passion. Je me suis donc naturellement tournée vers l’EPFL. Après avoir étudié plusieurs possibilités, j’ai opté pour la Physique dont l’enseignement me paraissait plus général que d’autres sections.

Mes études à l’EPFL représentent une magnifique période. Par exemple, j’adorais les cours d’Analyse ! Je garde également un excellent souvenir de mon échange à l’Université de Waterloo au Canada, une période riche tant au niveau des études que du développement personnel. A la fin de mon Master, obtenu en 2005, je savais que je souhaitais poursuivre avec un Doctorat mais ne savais pas exactement dans quel domaine. Le cours de neuroscience computationnelle donné par le Professeur Wulfram Gerstner m’a finalement décidée et j’ai poursuivi dans cette voie.

Comment avez-vous rejoint l’Imperial College de Londres ?

En 2009, à la suite de mon Doctorat, j’ai réalisé deux post-docs, d’abord à l’Université Paris-Descartes puis à Columbia University à New-York. Puis en 2013, j’ai eu la possibilité de rejoindre l’Imperial College de Londres et d’y diriger mon propre laboratoire, le Computational Neuroscience Laboratory.

Pouvez-vous nous présenter votre domaine de recherche ?

Mes recherches portent sur la mémoire et les mécanismes d’apprentissage par le cerveau. L’objectif est de comprendre comment nous apprenons et où est stockée notre mémoire. Nous pensons que la mémoire est en réalité stockée non pas dans les neurones eux-mêmes mais dans les connexions entre neurones : les synapses.

Par exemple, lorsque nous pensons au café, cela déclenche plusieurs souvenirs : celui du goût, mais aussi celui de l’odeur ou encore des souvenirs visuels comme l’image d’une tasse de café. Comment ces souvenirs sont-ils déclenchés et comment le fait que les synapses se modifient avec le temps influe-t-il sur la mémoire ? C’est à ce type de questions que nous essayons de répondre.

Quelles sont les applications possibles d’un point de vue médical ?

La majeure partie de mon travail demeure de la recherche fondamentale et le simple fait de mieux comprendre ces mécanismes est essentiel. Mais les applications potentielles d’un point de vue médical sont bien sûr nombreuses. La maladie d’Alzheimer est un enjeu majeur pour notre société qu’une meilleure compréhension des mécanismes du cerveau pourrait aider à traiter.

De même la recherche sur les équilibres entre neurones excitateurs, qui permettent l’activité du cerveau, et neurones inhibiteurs, qui permettent de tempérer cette activité, peut aider à comprendre de nombreuses autres maladies. On sait par exemple aujourd’hui qu’il existe un lien entre des maladies comme la schizophrénie ou l’épilepsie et un déséquilibre entre ces deux types de neurones.

Il y a également un lien direct avec la médecine personnalisée : comment s’adapter aux spécificités du cerveau de chacun ?

En science, on se rend effectivement souvent compte que beaucoup d’éléments sont propres à chacun. Dans nos recherches sur la mémoire, nous distinguons différents types de personnes. Il y a par exemple celles qui perdent leur mémoire à court terme mais conservent des souvenirs d’enfance. Le cas le plus célèbre est celui du patient HM (Henry Molaison), dont s’inspire le film Memento de Christopher Nolan. Mais d’autres personnes qui avaient connu le même type d’opération et dont les cerveaux n’avaient plus non plus d’hippocampe, n’avaient plus aucun souvenir, ni à court ni à long terme. Pourquoi ?

En définissant différents grands types de patients, nous espérons comprendre au mieux les dynamiques à l’œuvre entre mémoire à court et long termes et comment les souvenirs se transmettent au néocortex où est stockée la mémoire à long-terme.

Outre l’aspect médical, votre travail sur la mémoire et l’apprentissage peut aussi contribuer à des avancées dans le domaine de l’intelligence artificielle ?

Oui car on sait qu’il existe dans le cerveau un processus de consolidation, c’est-à-dire des apprentissages qui ne s’oublient pas avec le temps ou lorsqu’on apprend d’autre choses. Par exemple, lorsqu’on apprend à skier un hiver, on sait toujours skier l’hiver suivant, quand bien même nous n’avons pas pratiqué pendant plusieurs mois et acquis d’autres connaissances entre temps, comme la nage durant l’été. Or jusqu’à récemment, c’était un défi pour l’intelligence artificielle. Les machines apprenaient mais n’étaient pas prévues pour apprendre différents domaines : lorsqu’elles apprenaient un nouveau domaine, elles oubliaient le premier.

Depuis 2015, nous avons mis en place une collaboration avec DeepMind, l’entreprise dédiée à l’intelligence artificielle qui appartient à Google. Nous travaillons précisément sur ces mécanismes permettant à l’intelligence artificielle d’acquérir différents domaines de compétences sans oublier ceux déjà acquis lors d’un nouvel apprentissage. Cela s’appelle le continual learning et nos avancées ont ouvert un vaste champ de recherche dans le domaine ces dernières années.

Au-delà de l’aspect scientifique, comment abordez-vous la gestion d’un laboratoire et d’une équipe ?

Faire sa recherche seule et diriger une équipe est effectivement un grand changement et j’ai beaucoup appris avec le temps. Aujourd’hui, mon laboratoire est constitué de 15 personnes, doctorants ou post-doctorants, et j’essaye de faire de leur venue une expérience de vie qui les aidera dans leurs carrières respectives. C’est certainement une grande responsabilité, mais transmettre au mieux le savoir que j’ai pu acquérir est une dimension de mon travail qui me passionne.

Voyez-vous des différences notables entre le monde de la recherche en Suisse et en Angleterre ?

Pas vraiment. La recherche en Suisse est très proche du système anglo-saxon dans sa dimension internationale et axée sur la multidisciplinarité. Les différences, s’il y en a, se situent peut-être un peu plus au niveau de l’éducation. J’ai le sentiment que l’accompagnement personnel des étudiants est plus fort dans les pays anglo-saxons, ce qui peut avoir de très bons côtés mais rend le processus d’autonomie un peu plus lent – les deux systèmes ont leurs avantages.

Quel message passeriez-vous aux étudiantes et étudiants de l’EPFL qui viennent d’obtenir leur diplôme ?

De ne pas hésiter à se tourner vers des personnes qui sont quelques étapes plus loin dans leur parcours pour bénéficier de leur expérience. A titre personnel, c’est un rôle que je joue toujours avec plaisir. Si je peux encourager des vocations et motiver d’autres personnes, en particulier des femmes, à se diriger vers la science, c’est toujours un bonheur. Et de ne jamais perdre de vue qu’en tant que scientifiques, nous travaillons pour la société, surtout lorsqu’on est issu d’une école financée par l’argent public comme l’EPFL ou l’Imperial College.

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