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« L’innovation doit être utile et accessible aux entreprises »

Portrait

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13/09/2024

En 40 ans d’une carrière marquée par plusieurs postes de chef d’entreprise, François Gabella s’est imposé comme une figure de l’industrie suisse. Diplômé de l’EPFL en 1982, il est désormais membre du conseil d’administration de plusieurs entreprises de pointe et vice-président de Swissmem. Il pose son regard sur les défis et opportunités qui s’offrent à l’économie suisse, ainsi que sur le rôle de l’École.

Par Nina Eggert et Arnaud Aubelle

Votre parcours dans l’industrie suisse et internationale est extrêmement riche. Quelles en sont les étapes marquantes ?

Je viens d’une famille d’ingénieurs. Mon père était ingénieur génie civil, lui aussi issu de l’EPFL, tandis que mes frères et moi avons opté pour le génie mécanique. Je ne vous cache pas que mes résultats à l’EPFL n’étaient pas particulièrement brillants : j’obtenais chaque année tout juste la moyenne, principalement à cause de nombreuses autres activités que je menais en parallèle. J'ai débuté ma carrière aux États-Unis en 1983 chez Schlumberger, une entreprise de services et équipements pétroliers au sein de laquelle je mettais en place des systèmes d'automatisation de production. Ce fut ma seule véritable expérience en tant qu’ingénieur, car, grâce à la vente d’un brevet, j’ai pu financer mon MBA à l’IMD en 1986, qui m’a conduit vers des postes managériaux et stratégiques.

En 1987, j’ai pris la direction de la division transport des Ateliers de Construction Mécaniques de Vevey, où nous avons réalisé des trams à planchers surbaissés, une première mondiale à l'époque, qui circulent toujours à Berne et Genève notamment, ainsi que le TSOL – la ligne M1 du métro de Lausanne. J’ai rejoint ABB en 1993 pour diriger ABB Sécheron à Genève, avant de prendre plus tard la responsabilité des 34 usines de transformateurs de courant réparties à travers le monde. Comme le rythme des voyages devenait incompatible avec ma vie de famille, j’ai décidé de quitter le monde des grandes entreprises pour des structures plus petites et plus agiles.

Après une expérience de deux ans dans le private equity et des mandats de gestion de restructuration, j’ai dirigé Tesa, actif dans la mesure dimensionnelle de haute précision de 1 à 3D, puis LEM à partir de 2009, leader mondial dans la mesure de courant.


« Le facteur humain est essentiel. J'ai toujours été entouré de personnes plus compétentes que moi dans leur spécialité ; les inspirer et les amener à collaborer procure une grande satisfaction quand on y arrive. »


Pourquoi ce basculement très tôt dans votre carrière de l’ingénierie à l’aspect stratégique et managérial ?

La dimension stratégique et holistique m'a toujours passionné. Avoir un produit original, innovant et désiré est indispensable. Mais être capable de le vendre et d’optimiser les processus organisationnels l'est tout autant. 

Enfin, le facteur humain est essentiel. J'ai toujours été entouré de personnes plus compétentes que moi dans leur spécialité ; les inspirer et les amener à collaborer procure une grande satisfaction quand on y arrive. Si demain je devais recommencer une carrière, je m'orienterais probablement vers les ressources humaines. Faire converger les impératifs de performance d’une entreprise et les aspirations des générations X, Y et Z qui, si je simplifie, sont à la recherche de plus de sens et de moins de contraintes, constitue un défi qui va encore se complexifier dans le futur. Malgré les belles brochures de papier glacé de nombre d’entreprises, le chemin est encore long.


Aujourd’hui, vous n’occupez plus de poste opérationnel, mais faites partie de plusieurs conseils d’administration. Qu’est-ce qui vous plait dans ces rôles ? 

Depuis 2018, j’ai quitté l’opérationnel et siège dans les conseils d’administration de plusieurs sociétés, principalement industrielles, comme LEM, Sonceboz ou Alpiq. Selon moi, une entreprise équilibrée est conduite par une direction compétente qui gère la partie opérationnelle. La mission du conseil d'administration ne vise pas à impacter les résultats de l'entreprise à court terme. En revanche, il doit voir plus loin pour identifier les défis et opportunités à long terme. C'est une mission complexe et apparemment antinomique : comment des personnes qui ne travaillent pas dans une entreprise au quotidien peuvent-elles apporter cette plus-value ? Cette « chimie » demande un regard stratégique ainsi qu’un esprit d'abstraction et de synthèse. Ce sont ces aspects qui me passionnent.


Vous vous engagez également au sein d’associations faîtières liées à l’industrie.

En effet, je suis vice-président de Swissmem, qui regroupe les entreprises de l’industrie technologique suisse, vice-président de Switzerland Global Enterprise qui soutient les PME exportatrices et membre du comité d’economiesuisse. 

Le but de ces organisations est naturellement d’aider les entreprises à se développer. Une autre facette de cet engagement consiste à sensibiliser la population et le monde politique au fait que la prospérité de la Suisse n’est pas garantie sur le long terme. Il est nécessaire de continuer à améliorer nos conditions cadres, comme la formation ou l’accès aux marchés d’exportation, qui est vital. Mon sentiment est que notre pays s’assoupit sur ses lauriers et qu’il perd de son dynamisme.


Pourquoi ce sentiment, dans un contexte où l’économie suisse se porte bien ?

La frilosité de la population par rapport à des projets ambitieux ou le recours croissant à l’interventionnisme étatique sont pour moi des signaux inquiétants. Si vous mettez un poids à la ceinture d'un champion de natation, celui-ci continuera à gagner des courses malgré la difficulté accrue. Mais quel que soit son talent, sa vitesse se réduira à mesure que le poids augmente. La performance économique est une notion relative et la conjoncture en Suisse reste certes exceptionnelle, avec un taux de chômage extrêmement faible et une balance commerciale excédentaire, par exemple. Cependant, l’économie doit composer avec plusieurs facteurs contraignants : le franc fort, la lourdeur réglementaire, le poids de l'administration, le refroidissement des relations avec l'Europe... Prises individuellement, ces contraintes ne sont pas dramatiques, mais ensemble, elles deviennent étouffantes. Prenons garde à ce que le nageur ne coule pas !


Comment stimuler l’innovation dans ce contexte et quel rôle joue une institution comme l’EPFL ?

L'innovation ne peut par essence pas être planifiée ; pour lui permettre de germer, il est essentiel d'établir un cadre propice. Selon moi, c'est là tout le rôle d'une institution comme l'EPFL : offrir un contexte optimal pour permettre aux idées les plus originales de voir le jour et d’être expérimentées. L’EPFL offre cette liberté et un fantastique réservoir de savoir pour concrétiser ces idées innovantes. L’autre mission de l’École consiste à supporter les entreprises en formant des ingénieurs performants et en offrant ce que j’appellerais un « supermarché technologique » dans lequel les entreprises industrielles viendront se ressourcer. Je pense que l’École a su renforcer sa communication sur ce point, mais cette passerelle d’échange doit encore être intensifiée. L’innovation doit être utile et accessible aux entreprises, or celles-ci ignorent encore trop souvent ce qui se trouve dans ce « supermarché ».


 François Gabella à la Garden Party EPFL Alumni 2024, au domaine les Bois Chamblard 


L’une des contraintes que vous évoquez est budgétaire, avec une diminution du budget alloué par la Confédération aux écoles du domaine des EPF. Quel impact cela pourrait-il avoir sur l’industrie ?

Comme la Présidence de l’EPFL, je suis inquiet des coupes budgétaires qui se profilent. Ceci est naturellement préoccupant : il existe une corrélation directe entre notre prospérité et les moyens alloués aux EPF.

En tant qu’industriel, je suis d’abord pour exploiter toutes les pistes d’amélioration avant de demander davantage de moyens. A ce titre, je pense que les EPF ont été exemplaires en termes d’efficacité. J’en veux pour preuve le fait que depuis 2000, le nombre d’étudiantes et étudiants a triplé quand le budget de l’Ecole a lui à peine doublé. Par ailleurs, de nouvelles disciplines ont fait leur apparition comme les sciences de la vie, l’environnement, la cybersécurité, l’IA et bien d’autres. De plus, L’EPFL s’est étendue sur de nouveaux sites à Genève, Neuchâtel, Fribourg et Sion.

Quelles pistes dans le futur ? L'enseignement en ligne et l'intelligence artificielle seront clés pour continuer à améliorer l’efficience de l’éducation, même si la composante humaine restera toujours essentielle. Les financements privés constituent également une piste intéressante avant de considérer des mesures plus drastiques, comme la limitation des étudiants ou l’augmentation des taxes d’écolage.


Quelle est l’importance des discussions autour des accords bilatéraux avec l’Union européenne ?

L’interruption des discussions sur accords précédents, il y a deux ans, a été très néfaste. Sans entrer dans les détails, le comportement de la Suisse a irrité plus d’un pays. Après deux ans de dégel, il existe actuellement une fenêtre de tir pour renouer les liens avec l’Union européenne, qui demeure notre principal partenaire commercial et académique. Il ne faut pas la manquer. Aucun accord n’est jamais parfait, mais ce qui se dessine est tout à fait positif et, surtout, absolument nécessaire pour la Suisse. Ne laissons pas les opportunistes et les jusqu’au-boutistes saboter un accord qu’ils n’ont pas encore lu.



« Il existe actuellement une fenêtre de tir unique pour renouer les liens avec l’Union européenne, qui demeure notre principal partenaire commercial et académique. Il ne faut pas la manquer. »

 

Quels sont vos liens avec l’EPFL aujourd’hui ?

Le premier tient dans mon soutien aux budgets des EPF à travers les associations économiques dont je fais partie. Notre échange me rappelle également que plus de la moitié de mes amis sont des ingénieurs EPF ! Je suis naturellement le développement de l’école et apprécie de participer à la Garden Party de l’EPFL Alumni. Enfin, je me réjouis du rayonnement croissant de l'École.

 

PROFIL

  • 1982 Master en génie mécanique de l’EPFL
  • 1986 MBA de l’IMD, Lausanne
  • 1987 Directeur de la division Transports des Ateliers de Construction Mécaniques de Vevey
  • 1993 Business Area Manager chez ABB
  • 2005 CEO de Tesa
  • 2009 CEO de LEM
  • Depuis 2018 : Administrateur de sociétés (LEM, Sonceboz, Sensirion, Optotune, Alpiq,..), actif dans des organisations faîtières (Swissmem, Switzerland Global Enterprise, economiesuisse)


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